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WIP

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Work In Progress.

Je me propose de faire une sorte de carnet de bord imagé des trois mois de confinement lié au Covid 19 et son impact sur mon travail artistique, étonnement fécond. Comme tout le monde, ma vie quotidienne et ma pratique artistique a été bouleversée . Toutes mes expositions prévues ont été annulées ou déplacées . Je me suis habitué à travailler dans le vide, sans date de présentation publique. Tous mes projets se sont écroulés, je m’en suis rendu compte au fur et à mesure des semaines.

Waterfall with Fallen Shark - oil on canvas - 2019 - 200 x 80 cm
Waterfall with Fallen Shark - oil on canvas - 2019 - 200 x 80 cm

Cette crise sanitaire, globale, suit de peu une autre crise, personnelle :  En novembre 2018, j’ai été arrêté dans ma fonction de professeur de peinture. Diagnostique : Burn-out.

Je vais m'attarder un peu sur cette partie de ma vie, car j’aimerais pointer en quoi ce qui va suivre y est directement relié.

Qu’est ce qu’un burn-out? Je crois que tous ceux qui en ont fait l’expérience (nous sommes légions) comprendront mon analyse : c’estune crise de valeur. Cette maladie professionnelle est le résultat d’une friction devenue insupportable entre l’individu et le monde du travail, le « système ». Ce n’est pas une dépression, ce n’est pas un coup de mou, ce n’est pas une crise de la quarantaine. Cette maladie porte en elle heureusement la promesse d’une forme de transformation radicale, une renaissance.

Imaginez que vous êtes une chenille (une grosse), et que le burn-out soit le moment précis où la chenille s’enferme dans son cocon et qu’elle s’y dissout complètement.

De cette bouillie informe en ressort un papillon. C’est complètement inimaginable (la finalité de ce processus s’appelle d’ailleurs l’imago).

Ce moment de bouillie, c’est exactement ce que j’ai ressenti : une totale destruction de l’individu.

Le processus de résilience est le suivant : une sérieuse et patiente remise en question générale est mis sur la table (tout y passe, critique du travail, de la famille, le couple, la critique du système politique, des valeurs etc) avec comme seul médicament du temps libre, beaucoup de temps. Un temps d’une intensité insupportable : l’impression de vivre la scène de la pesée de l’âme entre Anubis et Osiris, en permanence.

Rainbow - oil on canvas - 200 x 160 cm - 2019
Rainbow - oil on canvas - 200 x 160 cm - 2019
Studio mars 2020
Studio mars 2020

Je reviens à mon sujet . Covid 19 . Lockdown . Mes enfants n’ont plus été à l’école, il fallait trouver des solutions. La meilleure fut celle de se partager la journée en deux et que chaque parent soit en charge d’une demi-journée. De cette manière j’avais moins de quatre heures par jour pour travailler à mon travail artistique. Mon atelier étant à trois quart d’heure de chez moi, j’ai arrêté d’y aller et j’ai installé un mini-atelier à mon domicile . Je me suis concentré sur des petits formats (En règle général, un petit format pour moi, c’est 120 sur 150 centimètres, en peinture).Tout ce qui se rapproche du dessin me pousse par contre vers des plus petites dimensions. Ce fut un grand changement pour moi, d’essayer de peindre sur des formats très petits.

Comme une longue année de guérison du burn-out s’était passée à questionner ce qui était fondamental pour moi, j’ai entrepris de reprendre aussi les fondations de la pratique picturale. On n’enseigne plus ces éléments dans les écoles d’art depuis très longtemps, j’ai donc repris les traités de peinture, et j’ai commencé à expérimenter les fondamentaux, en essayant d’en retirer une synthèse. Les traités de peinture sont tous très intéressants, mais ils sont surtout très complexes, abordent beaucoup d’aspects, on s’y perd très vite.

Je suis à la recherche d’une approche fondamentale picturale qui mets l’impasse sur les détails, dans la perspective de transmettre cette approche aux élèves avec lesquels je travaille. J’ai abordé les choses par les matériaux constitutifs de la peinture, en commençant par le trio support/pigment/liant. J’ai marouflé de toile des plaques de bois de manière à pouvoir peindre avec n’importe quelle technique et liant. J’ai eu ensuite l’intuition que je devais commencer avec les techniques à l’eau, les moins dangereuse pour l’écologie et pour la santé, les plus simple à mettre en place aussi.

La dame au requin - Watercolor on canvas mounted on wood - 30 x 40 cm - 2020
La dame au requin - Watercolor on canvas mounted on wood - 30 x 40 cm - 2020
La dame au requin - Oil on canvas mounted on wood - 30 x 40 cm _ 2020
La dame au requin - Oil on canvas mounted on wood - 30 x 40 cm _ 2020

La gouache s’est imposée, malgré le fait que j’ai été traumatisé dans mon enfance par les petits pots qu’on m’a fait utiliser enfants. Ces petits pots de verres qui deviennent sales tout de suite, je ne comprenais rien à cette matière que j’ai fini par abandonner avec dépit. Essayez donc de faire une copie d’un Rubens ou d’un Rembrandt à la gouache à quatorze ans, il y a de quoi se décourager.

J’ai eu par contre un problème de manutention : le lockdown venait d’être promulgué et je n’avais plus d’accès à mes fournisseurs. Je rappelle un de mes éléments décisifs de cette période : les enfants ne sont plus à l’école et je vis avec eux et dans leur monde 24h sur 24h. J’ai donc emprunté les gouaches que j’avais acheté à mes enfants il y a quelques années.

The kids's materials

Cette situation de crise m’a fait évaluer ce qui est important ou pas, et mit en avant l’importance de ce qui est proche de nous, à portée de main. Il n’est plus possible d’ailleurs de se mouvoir comme avant. Ce changement est aussi mental : qu’ est ce que j’ai autour de moi, qu’est ce que j’ai déjà et que je peux utiliser autrement.

J’ai un travail qui comporte un acte fondateur : la collecte de documents "image". J’ai une bibliothèque très étendue sur des sujets très différents.  Je classe les images, je les découpe, je les déplace, je les transforme, je m’en inspire, je les copie, je les juxtapose, je change leur sens.

Je travaille depuis 5 ans avec une série de portfolios de documents d'architecture qui ont une centaine d’années. Trouvée au pêle-mêle de Bruxelles, ces images m’avaient éblouies pour la qualité des images proches du dessin, qui leurs donnait une forme de nostalgie froide , des intérieurs totalement dépeuplé .Investissement conséquent, j’en ai acheté plus de vingt, chacun comportant une trentaine d’images . Ma routine de collecte d’image est une activité qui est souvent déconnectée d’un projet en cours. Je collecte pour collectionner. Une addiction aux images. Je reviens aux images comme le papillon à la flamme.

Ces portfolios, je les avais déplacé de mon atelier à mon domicile, quand j'ai supposé qu’il y allait avoir une restriction de mouvement imposée. J’avais déjà fait plusieurs séries d’interventions picturales sur ces sources, et je me sentais d’humeur à poursuivre.

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J’ai eu plusieurs fulgurances naturelles, des évidences qui s’imposent soudainement, que j’appelle « épiphanie », depuis la rencontre du terme en anglais dans un épisode de « Angel », spin-off  de « Buffy contre les vampires » où le héros change complètement de mode de fonctionnement suite à une apparition surnaturelle. Quand je parle d’épiphanie, c’est en fait le résultat d’une longue rumination mentale. Je passe beaucoup de temps à tourner autour d’une question, d’un thème, d’un objet etc en face desquels je sens qu’il y a quelque chose à faire. Que faire des images documentaires de bricolage, que faire des images microscopiques, que faire des schémas scientifiques, que faire des fleurs, que faire des peintures du 17 ème, que faire des éléments naturels en rapport avec une pratique ou un objet artistique…la liste est longue et ma collection de livre le prouve, mes disques durs aussi.

J’appelle ça aussi du "Ghost Painting" : comme dans la pratique du "Ghost Boxing" qui consiste pour le boxeur à s’entrainer avec une image mentale, véritable incarnation virtuelle et mentale de l’adversaire, je me pose constamment des équations, des agencements de propositions mentales sur ces éléments et images avec lesquels je veux travailler.

Il faut alors un moment de relâchement de l’esprit (la marche fonctionne très bien pour parvenir à cet état) pour que finalement une proposition convaincante apparaisse "simplement".

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Ars Memoriae ( L invitation #001 ) - 32 x 44 cm - gouache on vintage found document -2020
Ars Memoriae ( L invitation #001 ) - 32 x 44 cm - gouache on vintage found document -2020

Les nuages font partie cette liste, avec la complexité du nombre considérable de ce motif en art, peinture en particulier. Epiphanie fulgurante donc : Faire rencontrer le dedans et le dehors.

Un nuage à l’intérieur de ces scènes d’intérieur aristocratiques.

Ce cloisonnement généralisé était très présent. Rester à l’intérieur. Se cloîtrer. La respiration des marches encore permises.

Seconde épiphanie : Lors d’une balade avec ma famille de nouveau, j’ai été très ému en voyant un cheval à terre. Couché dans la prairie, comme mort. Il dormait bien sûr, mais en bon citadin, je suis étranger à ces connaissances. J’ai pris une série d’image avec mon smartphone.

Je me suis emparé de cette situation, ce cheval couché (qui me rappelle une scène de "The Misfits" avec laquelle j’aimerais travailler par ailleurs), et de cette émotion encore fraichement ressentie pour  l’incorporer directement par la peinture dans une des scènes d' intérieurs.

La gouache s’est imposée pour travailler directement sur ces documents photographiques : la peinture est opaque et elle ne détruit pas le support papier à l’inverse de la peinture à l’huile. En quelques heures, j’étais en possession de la première oeuvre d’une autre série possible.

A partir de ce moment là, tout ce qui happait mon regard fut susceptible de rentrer dans un de ces intérieurs. La mort de George Floyd, un trognon de pomme (une histoire de confinement d’une directrice de musée bruxellois), des oiseaux issus de capture d’écran d’instagram, du texte (autre ruminement actuel), etc

L’hétérogénéité des motifs n'est pas problématique, l'agencement futur des peintures sera nécessaire pour une trouver une forme de cohérence, une autonomie.

(D’ailleurs qu’est ce qui est autonome? Tout est en relation, ce sont les relations qui produisent du sens.)

Ars Memoriae (Resting Horse) - 32 x 44 cm - gouache on vintage found document - 2020
Ars Memoriae (Resting Horse) - 32 x 44 cm - gouache on vintage found document - 2020
Ars Memoriae ( Owl ) - 44 x 32 cm - gouache on vintage found document -2020
Ars Memoriae ( Owl ) - 44 x 32 cm - gouache on vintage found document -2020

Toujours avec cette même série de documents, je mélange mon intérêt pour les monochromes et pour les diagrammes ainsi que pour les systèmes colorimétriques. Sur ces images d’architecture qui mettent en avant la profondeur et l’espace, je leur superpose des plans de couleurs, totalement plats, opaques, sans aucune profondeur à part celle de la couleur en soi. Le contraste noir et blanc et des couleurs rajoutées crée un rapport singulier, de même qu’un autre contraste, conceptuel cette fois-ci : en ajoutant de la couleur par le recouvrement, j’enlève de la visibilité à l’image.

Cette contradiction me semble très féconde et crée un trouble dans l’image plus durable que l’effet simplement rétinien.

Ars Memoriae ( Chart #001 ) - 44 x 32 cm - Tempera on vintage found document - 2020
Ars Memoriae ( Chart #001 ) - 44 x 32 cm - Tempera on vintage found document - 2020
Ars Memoriae ( Chart #002 ) - 44 x 32 cm - gouache on vintage found document - 2020
Ars Memoriae ( Chart #002 ) - 44 x 32 cm - gouache on vintage found document - 2020

Je sens une grande connection entre le monde de l’enfance et moi.

J’observe mes enfants en tant que père, en tant qu’humain mais aussi en tant qu’artiste.

Les enfants, ces machines à jouer et à s’émerveiller, sont une source d’optimisme et d’inspiration.

Cette attitude, j’essaie de l’instaurer comme une règle dans mon travail d’artiste car la graduelle professionnalisation de ma pratique artistique a entamé durablement mon rapport au plaisir de travailler. J’essaie de dépasser un système de fonctionnement où la fin justifie les moyens. Il me faut trouver du plaisir dans toutes les étapes du travail. Avec mes enfants pendant le confinement, nous dessinâmes, peignâmes, sculptâmes ensemble.Sur une grande table, les pages se sont remplient, nous nous sommes aidés mutuellement. La liberté des enfants à créer, détruire, s’amuser à faire m’impressionne beaucoup et je tends à avoir une attitude similaire. Ils sont devenus des métaphores, des modèles représentant des projections d’idées et d’émotions. En les observant, j’ai élaboré des objets, des sculptures, des peintures, des bas-reliefs. Ils ont posé devant mon objectif, naturellement ou bien tels de vrai modèles professionnels dociles. Une autre série en gestation dont les bases ont été esquissée.

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Reverse Genealogy (Study) - 50 x 40 cm - Oil on wood - 2020
Reverse Genealogy (Study) - 50 x 40 cm - Oil on wood - 2020
Study for a selfportrait #2 - Gouache on canvas mounted on wood - 50x40cm - 2020
Study for a selfportrait #2 - Gouache on canvas mounted on wood - 50x40cm - 2020
Study for a selfportrait #1 - Tempera on wood - 2020
Study for a selfportrait #1 - Tempera on wood - 2020

Autre porte ouverte lors du confinement, la sculpture.

J’observe depuis quelques temps les comptes Instagram des artistes des effets spéciaux pour l’industrie cinématographique. Mon attirance pour les matières organiques est pleinement conquis par les techniques très spécialisées que requièrent ces métiers. Le rapport au réel est exacerbé, tout ce qui touche à l’exagération des films d’horreur par exemple possède un mélange de dégout, d’humour, de sublime trivialité. Le niveau de technicité est exceptionnel chez ces artistes.

J’ai donc commandé du matériel spécifique à cette pratique sculpturale, et j’ai repris un vieux projet esquissé en Australie en 2009. J’avais imaginé une sculpture grandeur nature d’un buste en bronze d’un gorille, une représentation de l’ultra masculinité , l’ultra-alpha : il est imposant, menaçant et porte un collier de testicules humaines. Il porte aussi un accessoire incongru, une coiffe de chef amérindien. Le socle devrait être fait en illusion de matière de peau humaine, avec des poils, en silicone hyper-réaliste. Une esquisse a été réalisée. Une édition en bronze est en route.

Et pour finir sur une note humoristique légèrement tendancieuse, j'ai donc aussi entamé une série qui utilise des planches de bois découpée que l'on retrouve dans les magasins de loisirs artistiques. J'ai toujours beaucoup apprécié ces magasins, et la panoplie de matériaux à la vente tous les plus kitsch les uns que les autres donne envie de s'en emparer en les déplaçant de leur utilisation initiale. j'avais depuis quelque mois acheté des panneaux de bois de petit format découpés dans des formes enfantines : un château de prince, un cheval, une licorne, un koala etc.

A l'huile et alla prima, j'y ai peint une image absolument contraire à son usage. Le regard va de l'image enfantine de la forme de l'animal à la crudité du motif sexuel.

Koala - oil on wood - 12 x 12 cm - 2020
Koala - oil on wood - 12 x 12 cm - 2020

En conclusion, toutes ces nouvelles séries portent en elles la promesse d'une continuité enthousiasmante, mais il est probable que le temps me manquera pour les développer toutes.

Mon retour à l'atelier a occassionné aussi une série de bouleversements artistiques très excitant.

De belles années en perspective.